Socialisme, communisme et syndicalisme raconté à mes élèves...
La
sonnerie de la fin de l'heure retentit. Dans un réflexe pavlovien, les
élèves rangèrent leurs affaires, rejetèrent leurs chaises vers
l'arrière et se précipitèrent dans le couloir, me plantant là
avec ma phrase inachevée. Dommage, une belle conclusion qui résumait
l'heure de cours et annonçait le thème de la prochaine séance. Une
phrase à faire rougir de plaisir un pédagogue qui se serait égaré
dans ma classe. Mais ils ne savent peut-être pas que passé la
sonnerie, l'élève n'a plus d'oreilles. Ni le matin (trop tôt), ni
avant le déjeuner (trop faim), ni après le déjeuner (digestion),
ni en fin d'après midi (trop tard).
Mais
déjà les premiers élèves de terminales apparaissent :
-
Ouah ça pue ici !
-
Oui, bonjour à toi aussi Nicolas !
-
Ah ouais pardon, bonjour, non mais franchement c'est pas humain
c't'odeur !
-
Rassure toi ce sera pire quand vous quitterez cette salle...
-
Ben d'accord dites qu'on sent mauvais aussi ! Intervint Léa
tout en refermant les fenêtres
-
Bon allez on va pas y passer l'heure, on a du lourd qui nous attend !
-
On fait quoi aujourd'hui demanda Alexandre, bonnet sur la tête et
skate à la main, cherchant encore où il allait s'asseoir
-
Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1850 !
-
C'est chelou ça...c'est de l'histoire ou de la géo ? Demanda
Antoine qui à peine installé sur sa chaise prévoyait de se
rendormir
-
De la géo bien sûr ! Tu sais bien que le socialisme est un
continent inexploré et le communisme un fleuve d'Afrique...
-
Bon d'accord c'était bête ma question, mais faut dire tous ces mots
en isme aussi... va falloir les apprendre ?
-Ben
oui, et les utiliser intelligemment aussi, et puis pas que ceux là
tu vas voir ! D'ailleurs c'est quoi le socialisme
Au
fond de la classe Nicolas agita la main comme si sa vie en
dépendait :
-
Moi je sais ça a un rapport avec le barbu là, Marx !
-
Mais non lui c'était le communisme ricana Alexandre qui avait enfin
trouvé une chaise avec une place libre pour son skate à côté.
-
Bon on va reprendre les choses par le début : déjà le
contexte : en Allemagne, dans la deuxième moitié du XIXe et le
début du XXe, on assiste à une forte industrialisation :
développement des grandes usines, travail à la chaîne, taylorisme,
fordisme tout ça vous l'avez vu l'an dernier
-Ah
oui m'sieur on va revoir les temps modernes avec Chaplin ?
Demanda Jérémy toujours prêt à regarder un film
-
Je continue ! Avec cette industrialisation, on a une explosion
du nombre d'ouvriers (x2 sur la période), et un développement de
l'urbanisation (+50%). Inutile de vous dire que les conditions de vie
et de travail sont très limites, et du coup un certain nombre de
penseurs réfléchissent au moyen de résoudre la « question
sociale », c'est-à-dire d'améliorer la condition ouvrière.
C'est ce que l'on appelle le socialisme.
Et
c'est là qu'interviennent Marx et Engels, que disent-ils ?
Jérémy
leva la main et répondit d'un air concentré :
-
selon eux la société industrielle produit tellement d'inégalités
entre bourgeoisie et classe ouvrière qu'une révolution est
inévitable, et le socialisme doit mener au communisme, c'est-à-dire
une société sans classe
Typhaine
se retourna, interloquée, pour vérifier qui avait parlé.
-
C'est bien tu sais au moins lire ton livre, les autres vous pouvez
regarder aussi l'encadré p.109
Bon
si je résume, le socialisme au départ c'est l'ensemble des
doctrines qui veulent améliorer la condition ouvrière. Pour y
arriver deux solutions : soit on le fait par réforme (c'est ce
que voulait Ferdinand Lasalle, fondateur du premier parti socialiste
allemand : l'ADAV), soit on le fait par la révolution, comme le
prône Marx : c'est le cas du SDAP fondé par Liebknecht et
Bebel
-
Bebel, c'est un ancêtre de Jean-Paul ?
-
Merci Nicolas, je n'en attendais pas moins de toi !
-
Attendez ! Intervint Erika, là je suis complètement paumée,
c'est quoi tous ces gens ?
-
Tous sont socialistes puisqu'ils veulent améliorer la condition
ouvrière, mais certains veulent le faire progressivement, par
réformes, par la loi, ce sont les réformistes, tandis que les
autres veulent le faire par la révolution, renverser les bourgeois
et le régime impérial en même temps
-
Pfffou, ils pourraient pas s'entendre ce serait plus simple...
-
Ils essaient, en fondant en 1875,
le premier grand parti socialiste européen né
de la fusion officielle de
l’ADAV et du SDAP, lors du congrès de Gotha. Le Parti
socialiste des ouvriers allemands (SAP) se dote d’un programme
révolutionnaire, mais propose également des réformes visant à
améliorer la condition ouvrière, dans le cadre d’un Etat
démocratique.
-
Oui donc ils ne s'entendent pas en fait remarqua Antoine qui
finalement ne dormait pas
-
C'est un peu cela : dès ses débuts, le mouvement socialiste
allemand est traversé par des divisions : une frange révolutionnaire
se démarque d’éléments appelés réformistes - ou révisionnistes
- largement critiqués par Karl Marx.
Au
passage vous noterez aussi que ce parti allie l'amélioration de la
condition ouvrière à la démocratisation du régime.
-
Et comment ça se passe, ils se réunissent mais ils n'ont pas de
moyens d'actions si ils n'ont pas de députés ? demanda
doucement Elise
-
Pas encore, mais très rapidement le parti s'organise en véritable
« contre-société », avec des associations, des
orchestres, des équipes sportives, une presse socialiste, le tout
renforçant la solidarité entre les membres, et renforçant son
influence...
Manon
fit la moue, visiblement peu convaincue par les loisirs socialistes
-
… D'ailleurs, le chancelier Bismarck qui était le chef du
gouvernement ne s’y trompe pas, puisqu’il fait adopter en 1878
les "lois antisocialistes" interdisant le SPD et les
syndicats. Pour tenter de se rallier la classe ouvrière, il fait
également voter une série de lois sociales dans les années
1880-1890 : assurance sociale, assurance maladie, assurance
vieillesse et invalidité, réduction du temps de travail des femmes
et loi sur le repos hebdomadaire obligatoire.
Kristen
leva un sourcil, l'air embêté :
-
Ben pourquoi il fait ça, si c'est pas ses idées ?
Malaurie
répondit doucement :
-
Peut-être que comme ça il leur enlève leur influence ?
-
Exactement, il leur coupe l'herbe sous le pied on pourrait dire !
Mais au final ça ne change pas grand chose car en 1890, le départ
de Bismarck permet la levée des lois antisocialistes : le
mouvement socialiste est de nouveau autorisé.
Léo
intervint, un peu surpris, pendant que son voisin emmitouflé dans sa
doudoune se balançait sur sa chaise en regardant les autres term
sortir du gymnase en tenue de sport :
-
Donc en gros il a pris des mesures antisocialistes qui finalement
n'ont pas mis fin au socialisme ?
-
Complètement ! Surtout qu'en 1890, le SAP devient le Parti
social-démocrate d’Allemagne (SPD) sous l’impulsion d’August
Bebel et l’année suivante, au congrès d’Erfurt (1871), des
propositions concrètes pour l’amélioration de la condition
ouvrière sont formulées, bien que la ligne marxiste et
révolutionnaire du parti soit confirmée.
Les
yeux des élèves se levèrent, je pouvais presque voir leurs
neurones se taper la tête contre les parois des cerveaux
-
Vous avez rien compris ?
-
C'est ça ! S'exclama la classe d'une seule voix
-
Bon en gros retenez que le parti se déclare toujours officiellement
révolutionnaire, mais que dans les faits la voie réformiste
l'emporte au sein du parti. D'ailleurs le SPD participe à toutes les
élections et devient même le premier parti au Reichstag en 1912 .
Vous
voyez ? Toujours ce grand écart avec des réformistes et des
révolutionnaires qui cohabitent au sein d'un même parti !
Enora
soupira. Je ne sais pas si c'était la complexité de la leçon ou le
fait que son voisin se débattait avec un rouleau de scotch depuis le
début de l'heure...à moins que ce ne soit le contenu de sa
conversation plus ou moins discrète avec Pauline et Fanny...
-
Bon et alors c'est qui cette Rosa Luxembourg et ce Karl Liebknecht
dont on nous parle dans le livre ? Ils pourraient pas avoir des
noms normaux déjà ?
-
Ben ce sont des noms normaux...pour eux ! Sinon pour répondre à
ta question, Luxemburg et Liebknecht ce sont des socialistes
révolutionnaires
Anaïs
et Océane attendaient, stylo levé, de voir si vraiment c'était
important de noter toutes ces choses, puis finalement s'y
résignèrent...
-
Le problème du SPD, c'est qu'au moment de la 1ère guerre mondiale,
certains socialistes veulent participer à la guerre, par
patriotisme, car ils se sentent Allemands, tandis que d'autres, une
minorité, s'opposent à la guerre en estimant que les travailleurs
de tous les pays doivent être solidaires et faire passer l'intérêt
des ouvriers avant celui de leur pays. D'ailleurs c'est pareil en
France, après l'assassinat de Jaurès qui voulait la paix, la
plupart des socialistes français rejoignent ce que l'on appelle
l'Union Sacrée.
-
Et Liebknecht et Luxembourg alors, qu'est-ce qu'ils veulent ?
Demanda Sébastien qui gardait de bons restes de l'année passée.
-
Eux ils sont contre la guerre, du coup ils sont exclus du SPD en 1915
et fondent la ligue spartakiste allemande, ancêtre du parti
communiste allemand. Et ils sont assez proches de tous les
socialistes qui ne veulent pas la guerre et qui ont formé un nouveau
parti : l'USPD
-
Oh non c'est pas vrai ! S'écria Brendan, ils font ch... on n'y
comprends rien à leurs histoires !
-
Du calme, je reprends : on a un parti socialiste, le SPD, qui au
moment de la guerre se divise entre les réformistes, qui restent au
SPD et soutiennent la guerre, et les USPD et spartakistes qui eux
s'opposent à la guerre et sont des socialistes plus
révolutionnaires.
-
Pas si vite s'écria Maéva en regardant le cahier d'Eva, j'arrive
plus à suivre là !
-
Attendez, le plus drôle, c'est que le 9 novembre 1918, l'Empereur
Guillaume II abdique, du coup la République est proclamée. Mais en
fait elle va être déclarée deux fois ! le SPD met en place
une république parlementaire, soutenue par les élites
traditionnelles (bourgeoisie et armée) tandis que les spartakistes
proclament une république des conseils (un peu sur le modèle de ce
qui s'est fait en 1917 en Russie) ! On a un pays vaincu, mais
deux républiques, les deux s'ignorant superbement d'ailleurs, ou
plutôt se remettant en cause mutuellement, voire s'affrontant
Corentin
quitta soudain son air placide :
-
Mais ça peut pas tenir ça !
-
Eh non ! C'est pour cela que ces soulèvements seront réprimés
par le gouvernement SPD dirigé par F.Ebert et son ministre SPD de
la Défense Gustav Noske, qui font appel aux corps francs (des
militaires démobilisés après l'armistice qui ne savaient plus trop
quoi faire de leurs journées...). La répression fut
particulièrement dure à Berlin durant la semaine sanglante (6-12
janvier 1919). Le 15 janvier, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont
assassinés.
-
Ah ouais donc ils s'assassinent entre socialistes maintenant !
-
Ben c'est le problème : à partir de là, aux yeux de la classe
ouvrière, le SPD a trahi les ouvriers pour garder en place une
république modérée et trop « bourgeoise » à leurs
yeux. Du coup cet épisode marque pour longtemps la division entre
socialistes réformateurs et révolutionnaires qui fondent alors le
parti communiste.
-
He ben c'est pas compliqué tout ça, déclara Jean en soupirant.
Vous auriez pas un petit dessin ou un schéma pour que ce soit plus
compréhensible ?
-
Ou une petite vidéo ? Rajouta Jérémy dans un sourire
-
Pas de vidéo, mais un petit dessin oui, regardez celui-là : si
vous l'avez compris, le plus dur est fait !
Le
programme d'HG raconté à mes
élèves... ©Vincent
Pauthier (Oui
maintenant je mets des copyright ça fait classe)
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